Les autographes… Depuis que nous savons qu’une carte postale mise à la boite en 1918, représentant une vue générale de la ville de Pau, mais agrémentée côté correspondance d’un dessin et d’une signature de Picasso s’est vendue en 2016 à 166.000 euros (plus les frais). Je vous invite à regarder de plus près la partie « correspondance » de vos cartes des Pyrénées Atlantiques, et notamment celles de la ville de Pau. Et si vous avez beaucoup de pot, peut être ferez-vous d’agréables découvertes.
La chasse aux autographes
Dès qu’elles ont été utilisées, les cartes postales sont par nature porteuses d’autographes. Or l’autographe n’excite la convoitise du collectionneur que dès l’instant où elle émane d’une personnalité très connue à qui il voue une certaine admiration. La presse cite parfois l’exemple de certains collectionneurs à la limite du fétichisme, qui cherchent à se procurer tout objet ayant appartenu à leur idole. Cela peut aller d’un costume de scène jusqu’à des rognures d’ongles ou des mégots ramassés dans les poubelles. Certains poussent le vice jusqu’à s’habiller comme « lui », se coiffer comme « lui », bref, tout faire comme « lui ».
L’amateur d’autographes n’est pas encore atteint par ce délire. Il se satisfait souvent d’une simple signature précédant la formule : – à « Machin ». Cordialement « Untel » – Le service minimum en quelque sorte.
Les Aviateurs aussi…
A l’ « Âge d’Or », après les hommes de lettres et les acteurs de théâtre, les aviateurs étaient également très sollicités. Ces « merveilleux fous volants sur leurs drôles de machines » se produisaient très régulièrement dans des meetings aériens. A partir de 1910, il ne se passait pas un mois ou une semaine, sans que ne soit battu un nouveau record ! Record de vitesse, d’altitude, de distance, avec ou sans passager, d’acrobatie, etc, etc… Les progrès de la mécanique et les exploits des pilotes qui parfois s’écrasaient au sol passionnaient les foules. Et lors de ces exhibitions, les aviateurs dédicaçaient de nombreuses cartes postales les représentant. Le plus souvent ces autographes étaient réalisés au crayon à papier (parfois au crayon-encre).
Ci-dessous, nous en avons un exemple à l’aérodrome de Saint Lye, près de Troyes. M. Daucourt et Mme Driancourt (qui pilotait un biplan Caudron) signent à l’avance des cartes postales pour leurs admirateurs.
L’autographe devient beaucoup plus intéressante quand elle nous éclaire sur un aspect ignoré ou révélateur de la personnalité de son auteur. Imaginez ces quelques mots au verso d’une carte postale que l’illustre Sarah Bernhardt aurait pu envoyer à Alphonse Mucha :
« Mon cher Alphonse. Tout le monde me dit le plus grand bien de mon portrait sur l’affiche de Gismondina que je dois jouer au théâtre de la Renaissance. Me feriez-vous l’honneur de venir prendre le thé chez moi demain à 16 heures, j’ai un grand projet dont je souhaiterai vous entretenir. »
Plus la notoriété de l’auteur est grande, plus son autographe sera recherché. Ceci nous amène à constater combien la gloire peut être passagère, fugace et parfois même dépendante de la mode. Un siècle après l’effervescence de l’Âge d’Or de la carte postale, combien de personnalités artistiques ou sportives qui avaient posées devant l’objectif et vu leurs binettes éditées en cartes postales sont-elles tombées dans l’oubli le plus total ? C’est souvent le cas des acteurs comiques et autres amuseurs publics car leur emprise sur les foules ne dépend que de leur présence, de leurs mimiques, de leur timbre de voix, de l’originalité de leur répertoire. Ils peuvent briller au firmament des étoiles le temps d’une saison et soudain retomber dans l’anonymat. Les noms de celles et de ceux qui faisaient rire nos arrières grands parents ne nous évoquent plus rien surtout s’ils n’ont pas laissé d’enregistrement cinématographique ou sonore de leur talent. Il en est de même de ces nombreuses théâtreuses, chanteuses de café-concert, qui, en tenue plus ou moins légères figurent sur de nombreuses cartes postales qu’elles dédicaçaient volontiers à leurs admirateurs.
Comme on n’arrête pas le progrès et que les moyens de reproduction modernes ont accéléré cette tendance, désormais tous les artistes en herbe, comme les sportifs en tous genres, le plus souvent sponsorisés par des grandes enseignes (qui en profitent pour faire leur publicité), vous dédicacent leur photo.
Ceux qui ont atteint les sommets de la gloire font effectuer ce travail ingrat par leur secrétariat. C’est de notoriété publique mais curieusement leurs admirateurs ne s’en offusquent pas et restent persuadés que la signature est bien de la main de leur idole.
Faut-il le rappeler, déjà à la Belle Epoque de nombreux éditeurs de cartes postales ont imprimé directement la signature des « vedettes » sur les cartes postales, sans la moindre intention de tromper qui que ce soit.
En voici un exemple avec cette carte postale représentant Jules Emile Frédéric Massenet, (1842-1912) célèbre compositeur de musique et la reproduction de son texte :
« Sans comprendre le but des nombreux collectionneurs de cartes postales je trouve cependant qu’elles ont du charme et l’intérêt pour celui qui les reçoit. J.E.F. Massenet »
Plus subtils surfant sur la vague des « fan-clubs » et l’enthousiasme des groupies, dans les années 1950 d’autres éditeurs d’artistes de cinéma ou de Music-hall, font imprimer mais avec une encre de couleur différente, et en reproduisant les pleins et les déliés, le fac-similé de la signature des artistes en bas de leurs photos, avec un tel réalisme, qu’un amateur non averti pourrait s’y laisser prendre. Or dans ce dernier cas, cette opération n’a pu être réalisée sans la complicité consciente et active des artistes eux-mêmes !… C’est dire le peu de considération qu’ils portent à leurs admirateurs dès qu’il s’agit de gagner un peu plus d’argent.
La mode des cartes postales facilite la chasse aux autographes
Nous allons découvrir que les chasseurs d’autographes sévissaient beaucoup à la Belle Epoque. Car rien de plus tentant que de se présenter devant une célébrité avec sa photo sur carte postale et de lui demander une dédicace. Apparemment c’était un sport très en vogue, y compris dans les réceptions mondaines où l’on pouvait être assuré de croiser quelques belles pointures. Cette situation se trouve évoquée dans le Journal Le Gil Blas du 25/09/1908 dans un petit article intitulé : « Le coup de l’album ». Nous vous le livrons tel que nous l’avons découvert :
« LE COUP DE L’ALBUM.
Un travers – féminin, le plus souvent – et très répandu, consiste à demander aux gens célèbres des autographes : quatre mots ! Une simple pensée. C’est le coup de l’album, ou la carte postale forcée.
Il est deux écrivains archi-notoires qui ont trouvé un ingénieux moyen de « semer » les quêteuses d’autographes. Ils ont établi une taxe, un tourniquet. Lorsqu’on sollicite M. Brieux, il accepte, mais à la condition expresse et préalable qu’on verse cinq francs au bureau de bienfaisance de Saint Hilaire sur Puiseau (Loiret).
De même Rudyard Kipling. Son tarif est de cinq schillings, destiné au Club des pauvres jeunes gens de Rotterdam.
Paul Hervieu, qu’un admirateur indiscret pressait de griffonner quelques lignes, écrivit ce vers (du Boileau rectifié) :
Rien n’est beau que le vrai : le vrai n’est pas aimable.
Pierre Loti, lui, ne répond jamais. C’est une façon comme une autre de se défaire des raseurs. »
Merci au rédacteur du Gil Blas qui était probablement un galant homme, mais qui ne manque pas de nous faire remarquer que la chasse aux autographes était un « travers féminin ». On peut en déduire que lorsqu’une belle jeune femme, toute souriante et d’une voix émue s’approche d’un vieux monsieur pour le prier de bien vouloir « l’aider à compléter son album », il est plus difficile de la rabrouer que s’il s’agit d’un casse-pieds ordinaire. En revanche, aussi charmante soit-elle, on découvre des cas où elles ne pouvaient pas échapper à la « taxe de 5 Francs ». Telle est prise qui croyait prendre ! Ainsi les collectionneurs seront bien informés de la « valeur » de leurs autographes.
Et bravo à Eugène Brieux né en 1852 à Paris, décédé à Nice en 1932. Auteur de pièces de théâtre, la plus connue étant « Les remplaçantes » une comédie de 1901. Voilà un homme qui savait joindre l’utile à l’agréable et les nécessiteux de Saint Hilaire sur Puiseau lui devaient toute leur reconnaissance. Il en a été de même des petits parisiens car on peut lire sur un chromo de Lefèvre Utile, l’autographe suivante : « Tous mes remerciements à M. Lefèvre Utile qui a bien voulu, sur ma demande, régaler de ses excellents produits les enfants des crèches de Paris. »
De même pour Rudyard Kipling né à Bombay en 1865, décédé à Londres en 1936. Auteur du « Livre de la Jungle » et de « Tu seras un homme mon fils ». Dans un beau dimanche Anglais paru en 1895, il écrit : « Le Capital est chatouilleux et timides sont les prêteurs d’argent ». Voilà un homme qui savait ce qu’il faisait quand il monnayait ses autographes au profit du Club des pauvres jeunes gens de Rotterdam. Par ici les 5 schillings et vous aurez ma signature.
Sur cette carte de la série de la revue « Les Annales Politiques et Littéraires » nous découvrons Paul Hervieu qui partage mes honneurs de la notoriété cartophile avec Marcel Prévost. Paul Hervieu né à Neuilly sur Seine en 1857 est décédé à Paris en 1915. Qui se souvient aujourd’hui de Paul Hervieu, auteur dramatique et romancier à succès ? Probablement fort peu de lecteurs de ce blog. Et pourtant sa carrière l’a mené jusqu’à l’Académie Française qui parait-il vous confère l’immortalité.
Nous achevons cette illustration de l’écho du journal Le Gil Blas, avec Pierre Loti ; sur cette carte pas de légende. Evidemment la carte ne comporte pas d’autographe puisqu’il ne répondait jamais à ce genre de sollicitation.
Des milliers d’AUTOGRAPHES !
Comme nous vous le signalions en début d’article toutes les cartes qui ont été utilisées sont porteuses d’autographes. Il peut s’agir de « célébrités », tombées dans l’oubli, mais le plus souvent il s’agit de Monsieur « Tout le Monde » qui décide d’améliorer sa correspondance pour procurer davantage de plaisir à son ou à sa destinataire. C’est le cas ci-dessous avec cette carte postale adressée à Mlle Marguerite Messendau Poste restante à Saintes. L’expéditeur s’est fendu d’un petit croquis à la plume et de quelques vers empruntés à Edmond Rostand, qui illustrent l’actualité :
Vive le repos hebdomadaire
Pour n’pas rester là comme des œufs
Le Dimanche pour nous distraire…
(On fait c’qu’on peut, on n’est pas des bœufs !)
Edmond Rostand
Sur les cartes postales on peut trouver également de véritables petits bijoux. C’est le cas de celle que nous reproduisons ci-dessous. Ecrite par Jean-Grégoire Pénavaire, né à Lesparre (Gironde en 1838) décédé à Paris en 1906. Compositeur, Chef d’Orchestre, arrangeur, auteur. Pour faire plaisir à une de ses élèves il n’hésite pas à reproduire à la main tout le début d’une partition sur une simple carte postale vierge. Tout y est ! Les notes, les annotations, la ligne mélodique et les paroles d’un morceau intitulé « Chanson de Mai ». Joli cadeau, il n’y a plus qu’à se mettre au piano et à chanter !
N’oubliez- pas de vous intéresser aux cartes-photos et à leurs correspondances. Voici le meilleur pour la fin. Les amateurs d’illustrations apprécieront cette carte photo représentant la maison de M. Jules Chéret à Nice qui envoie des vœux de bonne année 1909 à M et Mme Grünn (autre illustrateur bien connu des cartophiles) : « Gentil ménage que devenez-vous ? Et quand venez-vous manger la côtelette avec les amis Chéret ? Bientôt, ils l’espèrent. En attendant ils vous envoient à tous deux, avec leur bonne affection leurs souhaits de bonheur, santé et continuation de la gloire pour nos deux talentueux amis. J.et M. Chéret, Nice, le 10/01/09 au soleil ! »
Mais revenons à vos cartes de la ville de Pau. Vous n’y avez pas trouvé une carte postale signée Picasso ? Ni de Mucha ? Ni d’un autre VIP de l’époque ? Et bien tant mieux pour vous. Vous n’aurez pas besoin de faire appel aux services d’un expert. Vous avez probablement découvert des cartes de braves gens qui s’envoient des tendres pensées, des bons baisers, des meilleurs souvenirs de la ville de Pau. C’est déjà beaucoup. Et tout ça pour un prix moins onéreux que la carte signée et dessinée par Picasso. Entre nous était-il étourdi ce Pablo ! Lui qui se donnait la peine de faire un dessin original pour son ami Guillaume Apollinaire, voilà qu’il n’écrit pas correctement son adresse ! Alors, ces artistes qu’est-ce qu’ils sont distraits !… Heureusement qu’ils sont bien entourés par des marchands d’art qui s’occupent d’eux. Sans quoi, où irait-on ?
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Avant d’entrer en contact avec nous, merci de bien vouloir noter que le musée ne fait aucun commerce de cartes postales, ce n’est donc pas à nous de déterminer la valeur de vos cartes postales, nous ne répondons pas aux demandes des vendeurs. Nos articles sont publiés pour vous éveiller à l’attrait de ces morceaux de cartons à collectionner, et vous donner aussi quelques pistes de réflexions ou anecdotes historiques, en parallèle de votre visite guidée au Musée. Pour savoir combien valent financièrement vos cartes postales veuillez vous adresser à des experts ou commissaires priseurs, merci.
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