En 1900, il existait une revue intitulée « Le Journal des Papetiers », essentiellement lue par des professionnels de l’édition, et surtout les imprimeurs. Comme il se doit ce journal défendait les intérêts de ses lecteurs. Or les principaux concurrents des imprimeurs de cartes postales se trouvaient en Allemagne, bénéficiant d’une longueur d’avance, car la France n’avait adopté l’usage de la carte postale que 3 ans après l’empire Germanique (rappel ici).
Espionnage industriel et commercial appliqué aux cartes postales
Animés d’un fervent patriotisme, les rédacteurs du Journal des Papetiers n’hésitaient pas à dénoncer la combativité des imprimeurs Allemands qui cherchaient à se tailler la part du lion sur le marché Français, en cassant les prix si nécessaire. Il s’agissait à l’évidence d’une compétition commerciale, mais l’occasion était trop belle pour ne pas faire vibrer la fibre patriotique.
C’est ainsi que toute initiative, toute nouveauté créée de l’autre côté du Rhin, était immédiatement rapportée dans le Journal des Papetiers pour informer et inciter les imprimeurs Français à prévoir la parade. Le journal avait des correspondants en Allemagne qui, en quelque sorte, pratiquaient ce qu’il faut bien nommer : l’espionnage industriel et commercial.
Une création d’origine Allemande et Suisse
Vu dans le Journal des Papetiers du 1er Juillet 1900 :
« On vient de créer en Allemagne et en Suisse une nouveauté : il s’agit de la carte postale police d’assurance.
Une maison de Berlin dite Le Papier Zeitung, vient de lancer dans le commerce des cartes postales illustrées, assurant à toutes les personnes les ayant reçues, et ce, pendant la durée d’un mois à compter du jour du timbrage par la poste, une indemnité de mille marks en cas d’accidents de voyage.
D’autre part, l’Institut polygraphique de Zurich vient de s’entendre avec la Compagnie d’assurance La Winterthur, pour faire bénéficier ses acheteurs des mêmes avantages.
Le coût de ces cartes est fixé à 0,20 centimes l’une, ce qui rend l’entreprise plutôt fructueuse. »
Cette nouvelle forme d’Assurance semblait séduire le public. Si l’on envoyait une carte c’est le destinataire de la carte qui était assuré pendant un mois, le cachet de la poste servant de référence. Enfin on pouvait s’adresser à son propre domicile ce type de carte postale pour être assuré soi-même. Les premières cartes postales assurance que nous avons vues n’étaient valables que jusqu’au 1er janvier 1903.
Evidemment la réponse côté Français ne se fit pas attendre. D’autant que La Winterthur possédant également des bureaux à Paris, au 15 rue de la Chaussée d’Antin, il suffisait de s’associer avec des éditeurs et des imprimeurs Français pour proposer le même type de contrat. Ce qui revenait à faire une campagne publicitaire entièrement financée par les acheteurs de cartes. Curieusement, il semble que la chicorée Marque Boulangère, paquetage Croissant ait dans un premier temps obtenu l’exclusivité des cartes postales assurances, comme on peut le constater avec l’exemplaire que nous reproduisons ci-dessous.
Cette situation de monopole n’a pas durée bien longtemps. On trouve rapidement d’autre cartes postales assurances et notamment chez l’éditeur E.Hamonic, avec la Karten Bost que nous reproduisons ci-dessous.
Vous noterez sur cette Karten Bost que le cachet de la poste est quasiment illisible, ce qui risque d’entraîner bien des discussions si l’on désire faire fonctionner le contrat d’assurance !
Une aubaine pour les guetteurs d’héritage
La commercialisation de la carte postale assurance allait générer plusieurs réactions dans la presse. Nous vous invitons à parcourir cet article non signé paru dans le Journal du XIXème Siècle, le 19 août 1905, intitulé « Jeu de Cartes Postales » :
« La carte postale est un de ces sujets dont on ne peut se lasser de parler. Elle intéresse toujours le public, car elle est contre lui un prétexte à tracasseries : Il est impossible en France, d’envoyer ou de recevoir des cartes postales, illustrées ou non, sans s’exposer à une foule de désagréments, dont le moindre est de payer trois fois plus pour une carte ouverte que pour une lettre fermée. On a beau prendre ses précautions, consulter tous les employés des bureaux de postes, il y a tant de circulaires relatives à l’envoi des cartes postales qui se contredisent, se rétorquent, s’annulent, se rétablissent, se modifient, se simplifient, se compliquent et se détruisent en se maintenant, qu’il est impossible à ces employés eux-mêmes de se reconnaître dans fatras de textes, de renvois, d’interprétations et d’interpolations comparable seulement au fatras de nos codes civils et criminels, oh ! Combien…
Quel besoin, aussi, éprouvent les commerçants, les industriels, les voyageurs, à inventer chaque jour un nouveau genre de cartes postales ? Il serait si simple de ne rien inventer et de laisser tranquille « l’ALMA MATER » des P.T.T. !
Je frémis, par exemple, à l’idée des circulaires qui vont s’amonceler derrière les guichets lorsque se répandra chez nous l’usage de la carte postale assurance, imaginée par un institut photographique de Zurich et ne coûtant que vingt centimes. Pour cette modique somme on peut s’assurer soi-même, en s’adressant une carte postale assurance, ou assurer des parents et des amis en leur envoyant la dite carte, contre tous les accidents de voyage, pendant un délai de 30 jours. En cas de blessures on mortelles, l’assuré reçoit 10 francs par semaine jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son travail ; en cas de mort, les héritiers reçoivent 1000 francs. Ce sont ces derniers qui vont nous assaillir des cartes assurances ! Jamais ils n’auront autant de prévenance et de sollicitude pour nous qu’à partir du jour où, pour quatre sous, ils seront sûrs de toucher 1000 francs, quelle que soit la modestie de notre fortune. »
Et il faut le rappeler, à l’époque, il s’agissait de 1000 franc or.
Les lenteurs de la poste… déjà !
Encore plus ironique ce journaliste anonyme du Gil Blas, en date du 2 septembre 1905, à propos de l’utilisation de carte postale assurance en France :
« La carte postale assurance, telle qu’elle fonctionne en Suisse, vaut vingt centimes et quiconque la reçoit affranchie, est assuré pendant trente jours contre les accidents. On a déjà saisi combien le bluff serait flagrant. Les lettres confiées à l’admirable service de M. Berard (autrement dit les P.T.T.) n’arrivent à destination qu’avec des barbes de sapeurs, il s’ensuit que la Compagnie qui établirait en France, la carte postale assurance, encaisserait constamment la prime, sans avoir à payer le moindre accident, puisqu’on ne la recevrait qu’archi guéri ou mort ! »
Et, pan !… Sur le bec de la poste !…
Reste au bout du compte, un joli coup publicitaire pour les Compagnies d’Assurances.
En dépit de nombreuses recherches effectuées dans ce sens, nous n’avons jamais eu connaissance d’un remboursement de mille marks, ou de mille francs, qui aurait résulté de l’utilisation de ces cartes postales. Si vous en avez été informé, n’hésitez pas à nous le signaler et nous en rendrons compte dans le blog du Musée de la Carte Postale.
Vous pouvez bien sûr venir découvrir, de vos yeux, une carte postale assurance exposée dans le Musée de la Carte Postale, à Antibes.
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DENAYER
1 14 juin 2019Monsieur Deflandre,
Merci pour votre contribution à rendre la collection de cartes postales son statut mérité.
Cordialement.
Danny Denayer AALST. Flandre.