Après la guerre de 1870, après la première guerre mondiale et enfin après la deuxième guerre mondiale, il se trouve toujours quelqu’un pour déclarer : « En France, on est toujours en retard d’une guerre ». Pour être plus indulgent on pourrait dire que « nous étions mal préparés ». Ce fut le cas en 1914.
La Franchise Postale fut décidée par un Décret du 3 Août et mise en application par une décision ministérielle du 14 Août 1914.
Pour les familles des milliers de soldats qui partaient sur le front, les comptes rendus officiels relatant les combats leur parvenaient trop tardivement. Plus on était éloigné de la zone de guerre, plus on avait de raisons de s’inquiéter de l’état de santé de ses enfants partis délivrer l’Alsace et la Lorraine. L’affaire devait être réglée en quelques jours, et voilà déjà plusieurs mois que ça dure. On soupçonnait (à juste titre) que les déclarations des grands chefs militaires ne reflétaient pas la réalité de la situation sur le terrain.
A défaut de pouvoir communiquer par téléphone fixe (ne parlons même pas de portable) les familles préféraient de beaucoup recevoir une lettre ou une carte postale, même écrite à la va-vite ou griffonnée au crayon à papier, mais qui constituait la preuve tangible que leur fils était toujours vivant. Les facteurs étaient très attendus dans les villes comme dans les campagnes. Rien n’était plus angoissant que de n’avoir aucune nouvelle.
Pour les soldats, comme pour leurs familles, la correspondance circulait gratuitement en franchise militaire. Les poilus avaient à leur disposition des cartes postales militaires règlementaires, ainsi que des milliers de cartes civiles, plus ou moins publicitaires, offertes par différentes entreprises ou associations caritatives et patriotiques. Il en existe de nombreuses variétés.
Les Etats-majors qui croyaient à une guerre rapide ne s’étaient pas préparés à cet afflux de correspondance et les vaguemestres furent rapidement débordés.
On trouvera un témoignage de cette situation dans le Journal des débats politiques et littéraires en date du 7/10/1914 (soit 4 mois après le début de la guerre) sous le titre :
« CORRESPONDANCE MILITAIRE :
Du 4 août au 12 septembre, mon fils (11ème bataillon de chasseurs alpins) n’a jamais reçu l’ombre de nouvelles de sa famille ; blessé à… et transporté à l’hôpital de BELLEY (Ain), il lui a fallu cette circonstance pour savoir, grâce à notre visite, quelque chose de sa famille, après quarante jours de campagne.
Les récriminations sont inutiles, il faut chercher des remèdes.
L’Administration des postes ne paraît pas responsable ; les postiers, qui n’ont pas été mobilisés, restent nombreux ; la poste, débarrassée des imprimés commerciaux, revues et même correspondance commerciale, est surtout occupée à la correspondance entre familles et soldats.
Ces correspondances paraissent acheminées régulièrement aux dépôts des corps, c’est ici que commence l’engorgement et l’arrêt ; un vaguemestre, aidé plus ou moins par un soldat, voit arriver chaque jour d’énormes sacs à trier et acheminer ; le vaguemestre a été débordé dès le premier jour, il n’a pas pu satisfaire à la besogne et les sacs sont restés là. Le remède est bien simple :
Détacher un certain nombre d’employés des postes aux dépôts de corps, leur confier le travail du tri et confection des sacs destinés aux corps d’armée sur le front.
Quant au secret militaire, les employés des postes ont déjà prêté le serment professionnel, on peut leur faire renouveler un serment spécial, appuyé de pénalités, enfin rien n’empêche au besoin qu’un militaire seul reste chargé d’inscrire sur le sac destiné au corps d’armée sur le front, le lieu de destination.
Deuxième remède, aussi efficace mais d’une nature plus délicate : Le nombre des lettres et cartes en franchise envoyées par les parents aux soldats est tout à fait abusif ; je connais des gens qui expédient cinq ou six cartes dans la journée pour être plus certains qu’une au moins arrivera.
Dans certains cas, il faut savoir prendre le taureau par les cornes et puisque riches et pauvres s’unissent pour produire l’engorgement et empêcher la remise de toute correspondance, il faut supprimer la franchise postale au profit des parents tout en la maintenant naturellement au seul profit des militaires ; on pourrait réserver en faveur des plus indigents le droit de faire apposer sur leurs lettres, au lieu du timbre, le cachet de la mairie ou du commissariat de police. (De notre correspondant de Lyon) ».
La suggestion de faire une différence entre riches et pauvres n’a pas été retenue, mais l’auteur de cet article a contribué à mettre en évidence un manque de personnel pour distribuer le courrier aux militaires.
Parfois le soldat n’écrivait plus et au bout de quelques jours les familles recevaient la visite des gendarmes venant annoncer qu’il était « Mort pour la France » ! On imagine alors, combien, les dernières lettres ou les dernières cartes expédiées par le militaire, prenaient une valeur symbolique inestimable pour les destinataires. Il s’agissait des derniers mots écrits, des dernières pensées de tendresse ou d’attachement à leur égard. C’est ainsi qu’ont été conservées par des parents ou par des épouses en deuil, des milliers de cartes postales comme ultime preuve d’amour.
Puis les générations se sont succédées, la force des liens affectifs s’est éloignée, les gens déménagent et les cartes postales finissent par connaitre le sort réservé aux objets encombrants devenus inutiles. Il n’est plus question de nostalgie.
Mais toutes celles ou tous ceux qui liront ces lignes et dont l’un des ancêtres est mort durant la première guerre mondiale ne pourront pas, je le suppose, rester totalement indifférents à ces modestes bouts de cartons qui portaient les espoirs d’une vie fauchée le plus souvent à la fleur de l’âge.
cartes postalesmilitairesoldat