La lecture de l’article de Monsieur Pierre Buffiere dans la revue « Lemouzi » (8 avenue Treilard à Brive) n°86 de Janvier 1903, ravira sans aucun doute les amateurs de régionalisme en cartes postales, et plus particulièrement ceux qui s’intéressent à leurs racines, à leur terroir.
On sent chez Pierre Buffiere une véritable affection profondément ancrée dans le Limousin. Il a dès leur apparition compris le rôle « d’ambassadeur extraordinaire » que peuvent jouer les cartes postales au service d’une région. Toutes ses réflexions pourraient s’appliquer à n’importe quelle autre province de France, tant elles sont frappées de bon sens.
Il sait rendre hommage aux éditeurs, aux photographes, sans oublier les illustrateurs, tous unis pour une même cause, la promotion de l’image du Limousin. Il ajoute que les « regards d’appréciation » portés par les artistes sur les sites et curiosités les plus remarquables du Limousin, restitués par les cartes postales, contribuent à faire prendre conscience de leur richesse aux populations locales.
A travers ses lignes, on comprend que tous les « exilés volontaires » de Corrèze, de Creuse ou de Haute Vienne, travaillant à Paris (parce qu’ils n’avaient souvent pas d’autre choix) ; aimaient à se ressourcer en feuilletant leurs albums de cartes postales du Limousin, dans l’attente, le jour de la retraite arrivée, de revenir au pays de leur enfance.
Laissons la parole à Pierre Buffiere :
« La vogue extraordinaire de la carte postale est faite pour nous réjouir. Elle a ce résultat d’appeler sur les beautés de notre pays, avec la curiosité des étrangers, l’attention parfois distraite de nos compatriotes eux-mêmes.
Les étrangers, certes sont pardonnables d’ignorer les sites dont on ne parlait gère il y a peu de temps. Mais comment ne point s’étonner de l’indifférence de beaucoup de Limousins pour les paysages où leur vie suit son cours ? Indifférence doublée souvent d’incompréhension : « Ah ! Monsieur, mon pays est bien laid », me disait une brave femme avec qui je conversais à Tulle. « D’où êtes-vous donc ? » lui demandai-je. – « De Gimel ! ». On entend journellement des appréciations de ce genre. Il ne faut pas en vouloir à ceux qui les émettent. Étroitement enfermés dans le cercle de leurs préoccupations quotidiennes, ils n’ont jamais eu le loisir de regarder autour d’eux, et pour eux la conception du beau se confond avec celle de l’utile. Bien des gens, d’ailleurs, qui ont lu et voyagé, se répandent en propos louangeurs sur les pays qu’ils ont traversés et accueillent comme une heureuse révélation la parole qui rend hommage au pittoresque de leur ville natale ; surtout, notez-le bien, lorsque cette parole émane d’un étranger. Il leur faut, en effet une affirmation désintéressée pour admettre que la nature et les hommes ont mis en leur milieu quelques parcelles de beauté.
La carte postale joue aujourd’hui, à l’égard des Limousins, le rôle du touriste étranger. Elle vient leur dire : « Votre pays est beau, puisque j’en reproduis par milliers les aspects et que d’innombrables albums les accueillent. » Surpris, ils regardent longuement la petite image, la comparent avec l’original devant lequel ils sont passés tant de fois sans vraiment le voir, et ils éprouvent enfin quelque fierté d’être d’un pays dont les Parisiens, ces consécrateurs de toute gloire, veulent bien eux-mêmes reconnaître l’intérêt. Ayant acquis ce sentiment un peu trop sommaire de l’esthétique locale, ils s’habitueront par la suite à observer le décor où ils se meuvent, sans attendre d’y être invités, ils en discerneront le charme sincère et comprendront la nécessité de le protéger. Ainsi seront évités, pour l’avenir, les actes de vandalisme qu’on a trop souvent à déplorer et par lesquels sont déshonorés d’admirables coins de nature ou détruits de précieux vestiges du passé. La carte postale illustrée aura donc rendu ce service à nos compatriotes qui, devenus par elle conscients de la beauté de leur pays, ils comprendront que les touristes viennent ainsi la contempler. Alors, mais alors seulement, leur esprit utilitaire, d’accord avec leur amour-propre local, s’emploiera, non pas à la détruire, mais à la mettre en valeur. Et à la fierté d’être les hôtes prévenants de visiteurs accourus de tous lieux, ils pourront joindre la satisfaction plus matérielle d’un gain appréciable en numéraire. Par là, il sera bien établi que si le beau et l’utile ne se doivent pas confondre, ils sont parfois aisément conciliables.
En attendant, la collection des cartes postales limousines s’enrichit tous les jours. L’énumération de leurs éditeurs à la recherche de séries caractéristiques a d’heureux effets pour la documentation iconographique des écrivains que notre région intéresse, aussi bien que pour la propagande commencée avec succès pour le développement du tourisme dans nos trois départements. Les premières ont reproduit à l’envie la physionomie d’ensemble des cités, petites ou grandes, considérées des points de vue les plus divers, leurs promenades et leurs rues les plus fréquentées, les monuments dont elles s’enorgueillissent, avec l’inévitable contraste des pierres brunies par l’usure des siècles et de l’éclatante banalité des productions architecturales modernes. Cela n’était pas mal, mais cela donnait un peu l’idée de la nomenclature du Joanne, avec, toutefois, la supériorité de l’illustration sur la notice. En d’autres termes, cela concrétisait l’impression des gens pressés qui, pour juger une ville, se contentent d’examiner ses aspects, pourrais-je dire, officiels. Mais le chercheur, l’érudit, l’artiste n’y trouvaient point tsuffisamment leur compte. Ils savaient que le dédale des rues ombreuses enferme de la légende et de l’histoire, que l’âme du passé hante les bois vermoulus, les murs ravinés où les furtifs rayons du soleil font éclore des figurations de rêve. La carte postale ne peut ambitionner de fixer ce prestige. Elle peut du moins orienter les promenades de ceux qui en sont épris et, comme le signet marque la page préférée du livre, être le point de repère où leur souvenir se ralliera plus tard afin d’évoquer les aspects les plus aimés.
Les cartes postales de ce genre commencent à se montrer. J’ai sous les yeux, au moment où j’écris des lignes, l’image fort bien venue d’une vieille maison de la rue des Portes-Chanac à Tulle. J’en pourrais citer d’autres, mais pas en très grand nombre. Il y a là toute une mine de pittoresque presque inexplorée, et l’on ne saurait trop engager les éditeurs à y rechercher les éléments de nouvelles et très intéressantes séries. Pour reconstituer par l’image la trame qui relie le présent au passé, on doit aussi leur demander de compléter la représentation des vieux quartiers encore existants par les vues des vieux quartiers disparus ou modifiés.
A côté, par exemple de la carte postale reproduisant l’aspect de telle petite place de Tulle, dont les balcons de bois se fleurissent joliment de vignes grimpantes, ne serait-il pas souhaitable qu’une autre photogravure vint rappeler l’époque inconnue, des nouvelles générations, où la Solane coulait à ciel ouvert entre de semblables façades ? Je sais plus d’un carton où dorment de précieux documents et j’espère bien que leurs détenteurs voudront, un jour ou l’autre, nous en faire bénéficier. On peut même dire que, d’ores et déjà, certains vont être utilisés, puisqu’on nous annonce la prochaine apparition d’une série du vieux Brive.
Mais ce n’est pas tout de montrer les paysages, les cités, les monuments limousin. Il faut mettre de l’animation dans ce cadre et noter, dans ses manifestations les plus caractéristiques, la vie de nos populations urbaines et rurales. Là encore la mine est inépuisable. Quelle succession de types et de groupes pittoresques peut offrir la grande route aux abords des villages qu’emplit la rumeur de la foire ! Comme sur la pellicule mouvante du cinématographe, on y voit défiler l’amusant cortège des paysans conducteurs de bœufs ou de moutons, autour desquels s’empresse la vigilance d’un labri au poil rude. Le brusque écart d’un taureau fougueux, l’indiscipline d’une troupe d’oies batailleuses devant une mare propice à leurs ébats, le passage d’une voiture de propriétaire à laquelle on s’empresse de céder le haut de la chaussée, jettent des effarements et des émois sur la route blanche. Cheminant à côté de charrettes attelées d’ânes trotte-menu aux oreilles divergentes, les hommes d’âge ponctuent de gestes énergiques leurs considération sur l’état des récoltes, tandis que des galants, fiers de leurs grands feutres bosselés et de leur jaquette à taille courte, content fleurette aux jeunes filles que la nécessité de maintenir en équilibre les paniers posés sur leur tête contraint à des attitudes nobles… Que de spectacles encore se recommandent à l’attention des éditeurs de cartes postales, depuis les processions déroulant dans les vieilles rues inégales ou le long des aubépines en fleurs leurs théories parfumées d’encens et résonnantes d’hymnes, jusqu’aux joyeuses cohues des fêtes votives et du tirage au sort ! Qu’ils nous donnent l’activité rustique épanouie dans l’or des moissons et la cordialité de la vie familiale entrevue du seuil des chaumières accueillantes. Qu’ils notent pieusement, avant qu’ils aient disparu dans la banalité envahissante, les rites traditionnels qui s’accomplissent en Limousin autour de la naissance, du mariage et de la mort. Ils élèveront ainsi, à leur façon, un monument à notre province, si riche d’originalités et si variée d’aspects.
Nombre d’entre eux, il n’est que juste de le reconnaître, sont déjà entrés dans cette voie. Ils nous ont montré les attitudes particulières du paysan dans l’animation des foires ; le pittoresque des groupe de laitières aux abords des villes ; l’étrangeté des silhouettes, nettement découpées sur l’horizon, de bergers vêtus de limousines ou de femmes enfouies dans la vase cape brune. Je dois une mention spéciale aux scènes et types villageois parus récemment chez MM. Bessot et Guionie, et dont de jolis et poétiques commentaires de M. Surchamp augmentent l’attrait. D’autres séries non moins intéressantes vont suivre. Il n’est pas indiscret, sans doute, d’annoncer, chez MM. Meyrignasc et Puydebois, la prochaine apparition du « costume limousin à travers les âges », dessins de M. Leynia de la Jarrige, d’après des documents extraits des archives de M.Plantadis, accompagnées de la notation de mélodies populaires.
Cette série devra un caractère particulièrement artistique à la collaboration du jeune dessinateur dont je viens de parler et dont il n’est pas besoin de faire l’éloge aux lecteurs de Lemouzi.
La plus haute ambition de la carte postale doit être en effet de vulgariser les œuvres d’art par lesquelles notre pays fut célébré. A ce titre, on peut la féliciter d’avoir fait parfois des emprunts aux belles illustrations de M. Gaston Vuillier et de s’être essayée cette année de reproduite (hélas, sans la magie de la couleur) les admirables « bruyères en fleurs » d’un artiste qui, ayant déjà droit à toute notre gratitude pour avoir fixé sur la toile avec une incomparable maîtrise la poésie de nos plateaux et de nos vallons, vient de nous rendre encore plus directement ses obligés par le don précieux qu’il a bien voulu faire au Musée de Tulle. J’ai nommé M.Didier-Pouget. »
Pierre Buffiere
Parmi les éditeurs de cartes postales illustrées limousines, je citerai :
A Limoges : M. Faissat, la marque M.T. – I.L. ; M. Dumont, la marque du trèfle ; à Tulle : MM. Juglard, Verlhac, Fourgeaud ; à Brive : MM. Meyrignac et Puydebois, Nogret, Bessot et Guionie, à Ussel : M. Eyboulet et M. Chapuis (de Lons le Saunier) ; à Bort : M. Fabregue ; à Beaulieu, M. Paucot Fils ; à Cahors : M. Girma (clichés Didie-Pouget et Fourgeaud) ; …
PHILIPPE CAINAUD
1 28 octobre 2021Très beau reportage sur la ruralité creusoise et limousine, tant au niveau des photos que du texte, je retrouve l’ambiance des contes de ma cousine Marcella Delpastre qui apparaissait jeune fille au milieu des moutons qu’elle gardait dans les bruyères du mont Gargan, mai s aussi dans ses écrits pittoresques ! Je me suis procuré quand il est sorti le dvd orchestré par France 3 très instructif, ainsi que l’album noir et blanc de photos de son enfance paru il y a 3 ans environ ….. Je suis content que Jean d’au Melho ait repris l’héritage intellectuel de ses écrits édités ou non, c’est une mine d’informations sur la vie dure des gens-de-peu qui griffonnent des poèmes, des pensées, des fulgurances, à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, même « en torchant les veaux » sic !
Deflandre Christian
1 29 octobre 2021Bonjour M.Philippe CAINAUD et merci d’avoir pris le temps de nous adresser ce sympathique message.L’un de nos objectifs étant de mettre en évidence le formidable trésor documentaire que constituent les cartes postales, et de le mettre à la disposition du plus grand nombre à travers ce site. Avec nos remerciements et nos meilleures salutations.
C.D.