Avant la première guerre mondiale, pour bon nombre de nos compatriotes, le cycle d’enseignement s’achevait avec l’obtention du « certificat d’études primaires ». Epreuve redoutée par tous, qu’ils soient bons ou mauvais élèves. Pour la plupart ce document constituait un passeport pour l’entrée dans la vie active. En ce temps-là, les instituteurs avaient à cœur d’approcher le meilleur pourcentage de réussite dans leurs classes, même aux fins fonds de nos campagnes. La vocation d’enseignant avait un sens quasi-mystique et l’on aurait bien des difficultés à retrouver son équivalent de nos jours.
Comment ne pas vous faire profiter de ce texte publié dans la revue « L’école et la famille » le 1er janvier 1916, qui prouve une fois encore combien les cartes postales étaient devenues « un phénomène de société ». A tel point que pour passer les épreuves du certificat d’études primaires à Saint-Vallier dans la Drôme en 1916, on avait imaginé une rédaction sur le thème des cartes postales. Voici l’exposé du sujet, tel que les candidats ont pu le découvrir.
« La carte postale illustrée
Ses avantages et ses inconvénients comme moyen de correspondance. Supériorité de la lettre. En dehors de la correspondance, quelle peut être l’utilité de la carte postale illustrée ? Parlez des dernières que vous avez reçues ou envoyées. »
A vous de tremper la plume sergent major dans l’encrier. Mais si vous manquez d’inspiration voici l’exemple du « type de devoir » à rendre, publié dans la même revue. La lecture de ce document est particulièrement révélatrice des impressions ressenties par les utilisateurs de cartes postales avant la première guerre mondiale, à la fois comme « moyen de communication » et comme « vecteur de connaissances ». Pour que la lecture vous en soit plus agréable nous n’avons pas résisté à la tentation de l’illustrer avec des cartes postales de la même époque.
« CANEVAS :
- Vogue de la carte postale illustrée.
- Ses avantages comme moyen de correspondance.
- Ses inconvénients.
- Supériorité de la lettre qui est un genre littéraire.
- Mérite de la carte postale illustrée : elle instruit par l’image.
- Les dernières que j’ai reçues.
DEVELOPPEMENT :
1. La carte postale illustrée, depuis quelques années, jouit de par le monde, d’une vogue immense. Les facteurs des postes peuvent en témoigner. C’est la reine du Jour.
2. Il est vrai qu’elle présente des avantages au point de vue de la correspondance. Et d’abord en raison du peu d’espace qu’elle offre à l’écriture, elle nous oblige à la brièveté, ce qui fait gagner du temps. De plus, elle facilite infiniment le commerce de l’amitié. Veut-on se rappeler au souvenir d’une personne éloignée qui nous est chère, vite on se procure une carte postale dont l’illustration, choisie avec goût, ne manquera pas de plaire. On y trace deux mots à la hâte et on l’expédie. C’est l’affaire de quelques secondes. Veut-on offrir des souhaits de fête à son ami, à un ancien camarade d’école, etc. On reculerait devant les frais d’imagination qu’exigerait une lettre ; mais la carte postale est là tout illustrée de jolies fleurs qui encadrent un non moins joli quatrain de circonstance. On n’a plus qu’à la signer et à l’adresser à qui de droit. Rien n’est plus simple.
3. Quels inconvénients s’attachent à la carte postale illustrée ? Le premier résulte de l’un de ses avantages. Nous avons dit que son petit format nous force à la concision. Mais ce laconisme devient un défaut, dès qu’il nous astreint à la gêne dans le développement de notre pensée. Chacun le conçoit très bien. Un deuxième inconvénient, c’est de rendre publique notre prose et notre signature, lorsque la carte postale n’est pas sous enveloppe fermée.
Les concierges ont la fâcheuse réputation de lire le courrier des locataires de leur immeuble, comme l’évoque ici cette carte à système, s’ouvrant en deux, de l’éditeur P.F. voyagée en 1908.
Le troisième inconvénient que l’on peut lui reprocher, c’est de faciliter les négligences du style. La carte postale illustrée semble faite pour les gens pressés ; elle ne comporte pas les formes soignées d’une lettre et il faut reconnaître qu’elle est ainsi très préjudiciable à la courtoisie des relations sociales.
4. Oh ! La lettre. Parlons-en. La lettre est une conversation par écrit entre personnes absentes. Et du fait que son auteur a la faculté d’en choisir et d’en peser les termes, elle exige toutes les qualités que doit revêtir l’expression de la pensée réfléchie, sans toutefois s’écarter jamais du naturel et de la charmante simplicité qui conviennent à la conversation. La lettre est un genre littéraire qui a conduit à l’immortalité Mme De Sévigné, Voltaire, Louis Veillot, Eugénie De Guerin et tant d’autres noms illustres qui lui doivent leurs meilleurs titres de gloire. Jamais la carte postale ne pourra prétendre à pareil honneur. C’est pourquoi la lettre gardera toujours sur celle-ci une éclatante et incontestable supériorité.
5. Ajoutons toutefois que, en dehors de la question correspondance, les cartes postales illustrées ont une utilité très appréciable : avec leurs vues photographiques, elles contribuent à nous faire connaître les sites, paysages, monuments et œuvres d’art plus ou moins célèbres. Elles popularisent les beautés de la nature, les chefs-d’œuvre des hommes et les tableaux dramatiques dignes de mémoire. Et c’est là un réel mérite.
6. Pour ma part, je viens d’en recevoir plusieurs qui m’ont causé un vif intérêt de curiosité. L’une d’elles représente la cathédrale de Reims après les bombardements que lui ont fait subir les vandales Teutons. Une autre me donne la vision lugubre d’un village dévasté et incendié par l’ennemi. Une autre me montre nos vaillantes troupes à l’assaut d’une tranchée allemande. Toutes ont trait à la grande guerre. Et je veux pieusement les garder comme des reliques. »
Voilà ce qu’il aurait fallu écrire pour avoir une bonne note à la rédaction du Certificat d’ Etudes Primaires à Saint-Vallier dans la Drôme. Une bonne note, certes, mais si le choix des cartes est très moral et patriotique, en revanche pour faire de bonnes affaires en cartophilie, il aurait mieux valu, « conserver comme des reliques » (pour reprendre l’expression) : des petits métiers en voie de disparition, des lâchers de ballons, de très grosses locomotives dans de toutes petites gares, quelques Mucha, Kirchner ou Kokoska, des attelages de chien, des monteurs d’ours, etc, etc… ce que ne pouvaient pas prévoir les correcteurs du certificat d’études primaires.
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