Les amateurs de cartes postales anciennes ne sont pas sans ignorer combien la religion y occupe une place très importante. En temps de paix, comme en temps de guerre, les sujets religieux abondent dans les cartes postales. S’agissant d’un support de propagande il ne faut pas s’en étonner. Cependant de nos jours, les églises sont quasiment vides même le dimanche, et hormis quelques fanatiques de tous bords et de toutes croyances, la religion est en net recul. Les sociologues vous expliquent que ce désintérêt pour la ou les religions, résulte du fait que dans tous les pays, lorsque la démocratie gagne du terrain, il en résulte que les croyances religieuses déclinent.
Nous vous avons souvent rendu compte ici, des témoignages de journalistes concernant les cartes postales du début de 20ème siècle. Aujourd’hui, le cas est assez rare pour vous être présenté, voici l’avis d’un prêtre catholique, amateur de cartes postales ; et pas n’importe quel prêtre. Il s’agit de Louis CROOY, frère de l’évêque de TOURNAY, Monseigneur Amédée Marie Léon CROOY, et frère également de l’abbé Fernand CROOY, Inspecteur de l’enseignement de l’archidiocèse de MALINES. Comme on le voit, dans la famille CROOY, la religion n’est pas une mince affaire. Louis CROOY, chanoine, était collaborateur des Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Belgique, Président du Comité de la 2ème Section, et membre de leur commission de surveillance. Il a publié plusieurs études sur les ouvrages d’arts profanes ou sacrés. On l’imagine volontiers davantage concerné par les tableaux religieux si nombreux qui ornent les églises Belges que par les cartes postales. Cependant, lorsqu’il aborde le thème de la cartophilie, il a approfondi son sujet. C’est dans ces conditions, que le 8 avril 1939, sous les auspices du TOURING CLUB de BELGIQUE, il donne une conférence intitulée : la carte postale illustrée.
La carte postale illustrée
Je ne sais si vous êtes comme moi ; mais, au cours de mes voyages, lorsque j’ai goûté les charmes d’un site pittoresque ou contemplé quelque monument remarquable, ma première visite est pour le marchand de cartes postales illustrées.
Comme charité bien ordonnée commence par soi-même, je songe d’abord à ma collection personnelle et tâche de réunir une documentation aussi complète que possible sur les choses qui ont particulièrement attiré mon attention. Je choisis en suite quelques cartes intéressantes à l’intention de mes amis. J’avoue que cela me coûte assez cher, mais je n’ai jamais regretté cette dépense. J’estime en effet que la carte postale illustrée est devenue un auxiliaire des plus précieux pour le tourisme intelligent. En tant qu’administrateur du Touring Club de Belgique, j’espère donc faire œuvre utile en vous parlant aujourd’hui de la carte postale illustrée.
Petit historique
Il y a quelques 60 ans que celle-ci fit des débuts, bien modestes d’ailleurs, en Suisse d’abord, puis en Allemagne et en Italie. Je me souviens avoir reçu, quand j’étais enfant, d’un de mes frères ainés qui faisait ses études à Rome, des cartes où étaient groupées plusieurs reproductions minuscules des principaux monuments de la Ville éternelle.
Les premières cartes Belges adoptèrent la même formule. C’est à l’initiative des frères NELS que l’on dut cette innovation. Au cours d’un pèlerinage à HAL, ces messieurs eurent le désir de se procurer une image de la Vierge Miraculeuse en format carte postale. N’ayant pas trouvé ce qu’ils cherchaient, ils décidèrent d’éditer eux-mêmes la carte en question et cet essai fut suivi de plusieurs autres, notamment à l’occasion de l’inauguration du chemin de fer du Congo en 1898.
Le lancement commercial du nouvel article fut extrêmement difficile. Les premières papeteries de Bruxelles n’achetaient alors qu’une demi-douzaine de cartes à la fois. Encore souvent ne les prenait-on qu’à vue, tant la vente en était aléatoire. Qui donc, à cette époque, eût soupçonné l’extension prodigieuse que devait prendre cette industrie naissante ? Aujourd’hui la production annuelle de cartes illustrées atteint, en Belgique, au moins 50 millions d’exemplaires, voire plus du double si l’on tient compte des cartes de fantaisie. D’après ces chiffres quelle peut être la production mondiale actuelle ? Elle doit atteindre plusieurs milliards de cartes. Le budget que l’humanité consacre chaque année à ces petits bouts de carton et à leurs frais d’expédition par la poste dépasse certainement le milliard de francs. Ces résultats extraordinaires sont dus, pour une bonne part, aux progrès énormes de la photographie et des procédés de reproduction. Ces derniers sont arrivés à une telle perfection qu’un œil exercé confond aisément l’épreuve photographique et son imitation, parfois plus belle que le modèle.
Séparer le bon grain de l’ivraie :
Ainsi réalisée, la carte postale illustrée devient chaque jour un moyen de culture plus utile et plus répandu. Bien entendu, nous écartons d’emblée les banalités telles que vedettes de cinéma ou simili-vedettes, fleurs voyantes, couples enlacés, mains qui s’étreignent et autres inepties généralement coûteuses dont la clientèle fervente se recrute parmi les miliciens et les bonnes d’enfants.
La carte qui nous intéresse représente un coin de nature, un monument, un détail décoratif, une fresque ou un tableau, un souvenir historique, un type particulier d’habitants, un costume national, des éléments de folklore, des plantes ou des animaux dans leur milieu naturel, des aspects typiques d’une industrie locale, bref, tout ce qui caractérise un pays, une civilisation.
Dans ce domaine, la carte illustrée est l’auxiliaire démocratique des revues et des ouvrages spécialisés. Elle apporte, à notre insu, mille précisions à nos connaissances géographiques, ethnographiques et artistiques. De plus, nous avons le plaisir de suivre nos parents et amis dans leurs pérégrinations lointaines. Nous explorons avec eux des contrées inconnues, nous prenons notre part à leurs émotions et leurs joies. Trop souvent, hélas, ces jolies cartes, une fois lues et admirées, prennent le chemin de la corbeille à papier. Jadis, lorsque les cartes illustrées étaient médiocres et constituaient une nouveauté, beaucoup de gens les conservaient dans des albums forts encombrants. Aujourd’hui, les collectionneurs sont plutôt rares et pourtant il y a là des collections utiles et intéressantes à faire si l’on y prend attention. Voici quelques suggestions à ce propos :
Tout d’abord, il faut se spécialiser. Impossible de garder indéfiniment le stock des cartes illustrées que l’on reçoit chaque année. Que l’on sacrifie donc ou que l’on donne à bon escient celles qui sortent du cadre de la collection que l’on veut faire.
Quelques conseils pratiques aux collectionneurs :
Ensuite, que le collectionneur, au lieu de s’encombrer d’albums volumineux, classe intelligemment ses cartes dans des boites où elles seront disposées comme des fiches dans un classeur.
Supposons par exemple qu’il s’agisse d’une série de monuments historiques. On peut adopter un classement par style et âge des monuments ou bien par pays, voire, combiner ces deux méthodes en suivant toujours l’ordre alphabétique pour les cartes d’un même groupe. Ainsi le collectionneur pourra rapidement mettre la main sur les documents qui pourront l’aider. Un tas de cartes en désordre est pratiquement sans usage et finit toujours par être détruit.
Je le répète, c’est dommage, car il y a là des ressources nombreuses, dont on pourrait souvent tirer parti.
Voici un professeur de géographie, qui doit parler aux enfants du cours d’un fleuve et de ses affluents. Combien la leçon ne deviendra-t-elle pas plus agréable et plus vivante, si le maître peut montrer à ses élèves de nombreux aspects de la nature et des villes dont la nomenclature sèche est sans attrait.
S’agit-il de parler de notre colonie, de sa faune, de sa flore, de mœurs de ses habitants ? Voilà les cartes illustrées qui nous apporteront toute la documentation nécessaire.
Je connais des jeunes gens suivant des cours d’art qui recherchent particulièrement les madones Italiennes, les sculptures romanes et mille autres choses curieuses… N’est-ce pas une initiative qu’il faut encourager ?
Sans doute, la collection de cartes illustrées n’a pas l’intérêt spéculatif de celle des timbres-poste. La philatélie, elle aussi, a de sérieux avantages et son rôle éducatif. Toutefois, elle pêche un peu lorsqu’elle dégénère en une petite manie où l’amour du lucre a sa part, et c’est là un inconvénient, surtout pour les enfants auxquels il ne faut pas inculquer le goût de la spéculation. Aucun danger de cette espèce en ce qui concerne les cartes illustrées.
Formons donc le vœu qu’on en revienne davantage à cette collection si louable ; encore faut-il que les éditeurs complètent et perfectionnent leurs séries de cartes postales et que la clientèle soit guidée dans son choix. En cela, il reste beaucoup à faire.
Quelques conseils pratiques aux éditeurs :
Les éditeurs n’hésiteront pas à investir des capitaux dans des publications nouvelles s’ils sont certains d’écouler leur marchandise. Malheureusement, les gens de goût sont une minorité. Le grand public ne suit l’élite qu’avec un retard souvent considérable. La plupart du temps, les efforts que l’on fait pour relever le niveau culturel des masses ne sont pas récompensés sur cette terre…
Je demandais un jour à l’industriel le mieux qualifié pour me répondre, pourquoi les belles cartes sortant de ses presses représentaient si souvent des sujets sans le moindre intérêt. Tantôt, c’est une gare affreuse ou une aubette de tramway, tantôt un groupe de villas, les plus laides naturellement, tantôt un monument aux morts dont les héros doivent rougir dans leur tombe, ou bien, une plantureuse baigneuse devant sa cabine, un boulevard, une porte de prison… Pourquoi-donc, disais-je, ne pas rechercher dans chaque localité ce qu’il y a de plus caractéristique et surtout de plus beau ? S’il s’agit d’un monument historique, pourquoi se borner à une ou deux vues d’ensemble dans le cadre urbain, sans s’attacher à aucun de ces mille détails qui en font des bibles de pierres ?
Pour toute réponse, mon interlocuteur me tendit deux pochettes contenant chacune douze vues prises à COQ-SUR-MER. C’étaient de pures merveilles, de vrais petits tableaux.
Bravo ! Bravo ! M’écriais-je, c’est délicieux ! Toute la poésie de notre Flandre Maritime est là… Le photographe qui a pris ces vues est un artiste… – Eh bien, reprit l’industriel, ces photos ont été prises par ma femme au cours d’une villégiature. Je les trouvai si belles que j’en ai fait des reproductions en cartes postales. Oh ! un tout petit tirage – 2.000 exemplaires – mais je suis navré de devoir vous dire que cela ne se vend guère. Savez-vous ce qui a le record de la vente chez nous ? C’est le Manneken-Pis ! Ma maison en édite chaque année au moins 50.000 exemplaires. Ajoutez à cela les éditions des autres firmes et les mille fantaisies plus ou moins « shocking », qui se vendent comme des petits pains, et vous conclurez avec moi que le Manneken-Pis représente pour le budget de notre pays une véritable mine d’or. Sans doute, il a de l’allure, ce petit bonhomme. Il n’est pas pour rien l’œuvre de Duquesnoy, et sa place est grande dans le folklore bruxellois ; mais quand même il y a autre chose dans notre Capitale !….
Je n’avais pas entendu la fin de cette boutade pour constater, une fois de plus, que le niveau intellectuel du gros public est encore passablement bas.
On aurait néanmoins grand tort de se décourager. Ce qui se fait à l’étranger peut se faire chez nous avec au moins autant de chances de succès, sinon davantage. Or, j’ai remarqué, au cours de mes voyages, notamment en France, en Italie et en Allemagne, que les séries se rapportant aux monuments historiques étaient en général beaucoup mieux composées que les nôtres. Allez par exemple à CHARTRES, à REIMS, à BOURGES, vous trouverez plusieurs dizaines de cartes différentes ayant trait à la cathédrale et à ses détails d’architecture et de sculpture. Ne pourrions-nous pas éditer chez nous des collections admirables sur la cathédrale de TOURNAI, l’église d’HAL et tant d’autres ?
Je suis certain qu’après quelques années ces collections feraient la joie de tous ceux qui cherchent à découvrir leur propre patrie.
Il faudra, sans doute, aider les éditeurs en leur signalant ce qu’il faut faire, en subsidiant, s’il le faut leurs efforts. Le Touring Club de Belgique est déjà plusieurs fois entré dans cette voie en publiant à ses frais certains carnets de cartes bien choisies pour illustrer quelques excursions classiques. Mais il faut surtout que, chacun dans sa sphère, collabore à parfaire l’éducation de la clientèle. Achetons de préférence les cartes qui sont de nature à nous apprendre quelque chose et ne regardons pas à payer deux sous de plus, pour avoir un document digne de figurer dans une collection. Encourageons les collectionneurs, surtout les jeunes, que la vogue excessive des sports et du cinéma prive de plus en plus des joies profondes et paisibles de la culture intellectuelle.
Où l’on découvre que les cartophiles pratiquent l’hygiène spirituelle
De nos jours, on fait beaucoup pour l’hygiène corporelle. On veut une jeunesse robuste et saine et l’on a parfaitement raison. « Mens sana in corpore sano » dit l’adage… On pourrait dire aussi, avec non moins de sagesse : « Corpus sanum per mentem sanam » : « La santé du corps par celle de l’esprit ». Il ne suffit pas de développer les muscles et les poumons, il faut aussi et surtout pratiquer l’hygiène spirituelle sans laquelle la matière se venge en se détruisant elle-même.
Louis CROOY
Dans cet ordre d’idées, les moyens les plus modestes sont à retenir. Celui dont je vous ai parlé aujourd’hui, mes chers auditeurs, méritait bien le quart d’heure d’attention dont je vous remercie en mon nom et au nom du Touring Club de Belgique.
L’intérêt de relire le texte de cette conférence résulte du fait qu’elle a été réalisée en 1939. A cette date les cartes postales étaient passées de mode. Le téléphone se répandait, les journaux publiaient des photographies et même l’usage des appareils photographiques personnels se démocratisait. En réalité les cartes postales n’étaient pas assez âgées pour acquérir leurs lettres de noblesse. C’étaient des « vieilleries » qui finissaient le plus souvent à la déchetterie. On constate que tout au long de son exposé, le seul critère que le conférencier met en avant, c’est la valeur documentaire des cartes photographiques. Il n’est jamais question de valeur sentimentale, ni d’ailleurs d’aucune autre valeur. Mieux le Chanoine Louis CROOY accorde si peu de valeur aux cartes postales qu’il nous précise : « Aucun danger de spéculation en ce qui concerne les cartes illustrées ».
S’il devait revenir de nos jours pour nous faire une conférence peut-être serait-il stupéfait en découvrant certains « ARGUS » et autres résultats de ventes aux enchères.
A tous ceux qui fréquentent plus volontiers les brocantes, les bourses d’échanges et autres marchés de l’occasion, que la messe le dimanche, voilà un prêtre qui a tout pour nous plaire. Avec cependant quelques réserves, précisément dans le choix de ses sujets de prédilection : les églises et les monuments historiques. Certes s’il s’agit de développer la culture il n’y a rien à redire. Effectivement on peut entasser des églises et des monuments historiques, pour tout connaître de l’art Roman, de la Renaissance et du Gothique… ll y a cependant d’autres sujets d’intérêts qui sont passés sous silence. Ce n’est pas grave. Comme on a pu le dire à Belle Epoque :
« Que le Diable emporte celui qui a inventé la carte postale illustrée ! »
La morale est sauve et Dieu reconnaitra les siens.
histoire carte postaletémoignage
Pierre Paulet
1 13 juin 2019Thème religieux intéressant. J’ai déjà pensé à présenter des statues de Notre-Dame de communes différentes, de Belgique et de France : elles se ressemblent souvent.
Bravo pour votre Musée.
Deflandre Christian
1 13 juin 2019Bonjour M. PAULET, Peut-être le saviez-vous, au 19ème Siècle de nombreuses congrégations religieuses se fournissaient en statues et autres objets, auprès des mêmes commerçants. Il existait des catalogues avec des statues en plâtre , en bois et autres matières à partit d’un modèle unique. Il n’est donc pas étonnant de retrouver les mêmes sujets d’un pays à un autre, avec des différences de taille, ou de matière. En conclusion les cartes postales ont toujours quelque chose à nous apprendre. Meilleures salutations,
C.D.
gerard porte
1 13 juin 2019Merci de votre envoi. Super cartes toujours un enrichissement. Sincères salutations
Deflandre Christian
1 13 juin 2019Bonjour et merci du message et de vôtre intérêt pour les cartes anciennes, cordialement CD